Retour                                                        8 mars 2007

A l’occasion de la Journée internationale de la femme,

l’Association Bahá’íe de Femmes pour le développement, la paix et l’unité

se fait le relais de la Communauté Internationale Bahá’íe auprès de la communauté française

Au-delà des réformes légales :

Attitudes culturelles pour l’éradication

de la violence à l’encontre des femmes

et des filles.

Une déclaration auprès des Nations Unies de la Communauté Internationale Bahá’íe, Septembre 2006

De nombreuses évaluations montrent que depuis 50 ans la situation des filles et des femmes s’est améliorée de façon significative. Leur taux d’alphabétisation et d’éducation s’est amélioré, leur revenu per capita a augmenté et elles se sont élevées à des rôles éminents dans les sphères politique et professionnelle. De plus, des réseaux féminins locaux, nationaux et mondiaux très étendus ont réussi à placer les problèmes des femmes en bonne place sur la liste des problèmes mondiaux et a poussé à la création de mécanismes, légaux et institutionnels, permettant de répondre à leurs préoccupations. En dépit de ces développements positifs, une épidémie implacable de violence contre les femmes et les filles continue de provoquer des ravages dans les coins les plus reculés du monde, perpétuée par les normes sociales, par le fanatisme religieux, par l’exploitation économique et par les situations politiques. Tandis que la communauté internationale se bat pour mettre en œuvre des lois - nécessaires pour arrêter l’épidémie - qui protègent les femmes et les filles, il est évident qu’un gouffre sépare toujours l’appareil légal et la culture - incarnée dans nos valeurs, nos attitudes et nos institutions..

La violence inquiétante qui touche les femmes et les filles agit avec en toile de fond deux processus simultanés qui caractérisent la situation mondiale actuelle. D’abord, le processus de désintégration qui, dans chaque continent et dans chaque sphère de la vie humaine révèle l’impuissance d’institutions périmées, de doctrines obsolètes et de traditions discréditées et conduit au chaos et au déclin de l’ordre social. L’incapacité de plus en plus grande des religions à exercer une influence morale laisse dans son sillage un vide que les voix extrémistes et les conceptions matérialistes de la réalité qui nient la dignité de la vie humaine, s’empressent de remplir. Un ordre économique exploiteur, alimentant les extrêmes de pauvreté et de richesse, pousse des millions de femmes dans des conditions d’esclavage économique et leur refuse le droit à la propriété, à l’héritage, à la sécurité physique et à une participation égale dans les entreprises de production. Des conflits ethniques et des états faibles sont la cause de l’augmentation du nombre de femmes migrantes et réfugiées qui sont acculées à des situations d’insécurité physique et économique encore plus grandes. Le taux de fréquence élevé de violence dans la famille, l’intensification des traitements dégradants que subissent les femmes et les enfants et la progression des abus sexuels ont accéléré ce déclin, dans la société comme dans la famille.

Parallèlement à cette détérioration, on peut discerner un processus constructif et unificateur. Prenant racine dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et renforcées par une solidarité croissante, les femmes autour du monde ont réussi, ces quinze dernières années, à placer la question de la violence contre les femmes et les filles à l’ordre du jour de la mondialisation. Le cadre légal normatif de grande envergure développé pendant cette période a permis de porter à l’attention d’une communauté internationale distraite la culture d’impunité dans laquelle de tels abus sont tolérés et parfois même approuvés. En1993, la Déclaration sur l’élimination de la violence contre les femmes publiée par l’ONU, définissait la violence ainsi :

Tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée.1

Cette définition s’oppose à la notion fallacieuse que la violence envers les femmes et les filles est une affaire privée. Le foyer, la famille, la culture ou la tradition, ne servent plus à justifier la violence contre les filles et les femmes. La nomination d’un rapporteur spécial chargé de la question de la violence contre les femmes a offert un autre mécanisme de recherche pour sensibiliser la communauté internationale aux nombreuses dimensions de cette crise.

En dépit d’importants progrès depuis quinze ans, l’échec qu’ont connu les nations pour faire diminuer la violence a dévoilé les défauts d’une approche principalement « réactive » et a remis peu à peu en cause la place donnée à la prévention de la violence. Le défi auquel doit faire face la communauté internationale doit maintenant se formuler ainsi : comment créer les conditions sociales, matérielles et structurelles dans lesquelles les femmes et les filles pourront développer toutes leurs potentialités ? Créer ces conditions impliquera non seulement des efforts délibérés pour transformer les structures légale, politique et économique de la société, mais plus encore cela exigera la transformation des individus : hommes et femmes, garçons et filles, dont les valeurs, chacune à leur manière, favorisent des types de comportements qui exploitent ou exploitants. D’un point de vue bahá’í le cœur de tout programme de transformation sociale nécessite de comprendre que l’individu a une dimension spirituelle ou morale. C’est ce qui détermine la compréhension du but de leur vie, le sens de leurs responsabilités envers la famille, la communauté où ils vivent et le monde. Sans négliger l’importance fondamentale des transformations à mettre lentement en pratique dans les structures légale, politique et économique, le développement des capacités morales et spirituelles de l’individu est un élément essentiel de cette recherche difficile de la suppression de la violence contre les femmes et les filles dans le monde entier.

Cette idée de promouvoir des valeurs morales précises peut être controversée : on a vu trop souvent dans le passé ces tentatives être associées à des pratiques religieuses répressives, des idéologies politiques oppressives ou des visions trop étroites du bien commun. Néanmoins, les attitudes morales, lorsqu’elles sont basées sur la Déclaration universelle des Droits de l’homme et qu’elles ont pour but d’encourager le développement spirituel, social et intellectuel de tous les individus représente un élément-clé de la transformation qui est nécessaire pour qu’une société sans violence naisse. De plus, ces attitudes doivent être enracinées dans le principe social et spirituel le plus important de notre époque : l’interdépendance et l’interaction de l’humanité vue comme un tout. Ainsi, le but du développement moral abandonne la notion individualiste du « salut » pour embrasser le progrès collectif de tous les hommes. Notre compréhension des systèmes physiques et sociaux du monde a progressé jusqu’à accepter ce paradigme, nous devons donc également développer les attitudes morales pour agir avec éthique à l’époque où nous vivons.

Comment cela se traduit-il en termes d’objectifs éducatifs ? Un certain nombre d’écoles et d’universités bahá’íes ont identifié des attitudes morales précises qui aident l’enfant et le jeune à développer des techniques de raisonnement moral et à assumer la responsabilité de contribuer à l’amélioration de sa communauté. La base de ce programme est la croyance que chaque individu est un être spirituel dont le potentiel à accomplir de nobles actions est illimité. Mais ce potentiel ne peut se manifester que si l’individu est soigneusement éduqué grâce à un programme en phase avec cette dimension humaine spirituelle fondamentale. Parmi les attitudes morales identifiées par les institutions éducatives bahá’íes on trouve la capacité à : participer efficacement dans un processus de prise de décision collective sans perdant (ce qui implique la transformation des attitudes spoliatrices basées sur l’usage de la force et l’idée fausse que le conflit est le pivot des relations humaines) ; agir avec une rectitude de conduite basée sur des principes éthiques et moraux ; cultiver un sens de la dignité et de l’estime de soi ; prendre des initiatives d’une manière créative et disciplinée ; s’engager de manière qui fasse autorité dans les activités éducatives ; créer la vision d’un futur désirable basé sur des valeurs et des principes partagés qui inspire les autres pour qu’ils travaillent à son accomplissement ; comprendre comment fonctionnent les relations basées sur la domination et contribuer à les transformer en relations basées sur la réciprocité et l’entraide. De cette manière, le programme cherche à développer l’individu dans sa globalité, intégrant le spirituel et le matériel, le théorique et le pratique, le sentiment du progrès personnel et les services rendus à la communauté.

Ces valeurs peuvent être enseignées à l‘école, mais c’est dans l’environnement familial que les enfants grandissent et conçoivent leur vision d’eux-mêmes, du monde et du sens de la vie. Dans la mesure où la famille ne comble pas les besoins essentiels de l’enfant, la société sera accablée par les conséquences de cette négligence et de ces abus et souffrira de l’apathie et de la violence qui en résultent. C’est en famille que l’enfant apprend la nature du pouvoir et son expression dans les relations entre individus. C’est là que la fille apprend à accepter ou à rejeter les règles autoritaires et la violence comme moyen d’expression et de résolution des conflits. C’est dans ce contexte que la violence universelle des hommes sur les femmes et les filles constitue une atteinte à l’unité fondamentale de la communauté et de la nation.

L’égalité dans le mariage et dans la famille exige toujours davantage d’aptitudes à intégrer et à unir plutôt qu’à séparer et à individualiser. Dans un monde en évolution rapide, où les familles sont incapables de supporter les pressions d’un renouvellement constant de l’environnement, les bouleversements économiques ou politiques, il devient capital de maintenir l’intégrité du lien familial et de préparer les enfants à devenir des citoyens de ce monde de plus en plus complexe et rétréci. Il est donc impératif d’aider les hommes en tant que pères à comprendre leurs responsabilités dans la famille au-delà du bien-être économique, d’intégrer l’exemplarité de relations hommes femmes saines, l’autodiscipline et l’égalité du respect pour les membres de la famille quelque soit leur genre. Ce rôle vient en complément de celui de la mère qui est la première éducatrice des enfants et dont la joie, le sentiment de sécurité et d’estime de soi sont essentiels pour qu’elle remplisse avec efficacité son rôle de parent.

Ce qu’un enfant apprend dans sa famille est soit confirmé soit contredit par les relations sociales et les valeurs qui structurent sa vie communautaire. Tous les adultes d’une communauté, qu’ils soient éducateurs, professionnels de la santé, entrepreneurs, hommes politiques, dirigeants religieux, policiers, journalistes, etc. partagent la responsabilité de protéger les enfants. Et pourtant, dans de nombreuses situations le tissu protecteur de la vie communautaire apparaît irrémédiablement déchiré : des millions de femmes et de filles font l’objet de trafics tous les ans et sont forcées de se prostituer ou de vivre dans des conditions d’esclavage ; des travailleuses immigrées font face à une double marginalisation en tant que femmes et en tant qu’immigrées et, dans une économie informelle, subissent de la part de leurs employeurs des abus psychologiques, physiques et économiques. La violence contre les vieilles femmes le plus souvent sans défense, dont le nombre croît, s’est élevée de façon considérable. La pornographie enfantine s’est répandue comme un virus, comblant les appétits d’un marché parallèle mondial sans frontière. Dans de nombreux pays, le fait même d’aller à l’école fait courir aux filles le danger de subir des abus physiques ou sexuels. Aggravé par les conditions créées par des états faibles ou par l’incapacité à faire appliquer la loi, le profond dilemme moral auquel la communauté est tenu de répondre est le suivant : Qu’est-ce qui pousse un individu à exploiter la vie et la dignité d’un autre être humain ? Quelle attitude morale fondamentale la famille, comme la communauté, ont-elles manqué de cultiver ?

De par le monde, traditionnellement, les religions ont joué un rôle déterminant dans la culture des valeurs communautaires. Aujourd’hui pourtant, de nombreuses voix qui s’élèvent pour défendre la religion constituent le plus formidable obstacle à l’éradication des comportements violents et exploiteurs perpétrés à l’encontre des femmes et des filles. Utilisant l’attrait religieux comme moyen d’assurer leur propre pouvoir, les adeptes des interprétations religieuses extrémistes cherchent à " mater " les femmes et les filles en limitant leurs déplacements en dehors du foyer, leur accès à l’éducation, ou en soumettant leur corps à des pratiques traditionnelles nocives, en contrôlant leur manière de s’habiller et même en les tuant pour punir des actes prétendument déshonorants pour l’honneur familial. La religion elle-même a un grand besoin de renouveau. Que les dirigeants religieux affirment sans équivoque et défendent officiellement le principe de l’égalité entre hommes et femmes serait un élément central de ce renouveau, car ce principe moral et concret est absolument nécessaire pour faire progresser la société dans les sphères sociale, politique et économique. Il faut aujourd’hui réexaminer les pratiques et les doctrines religieuses qui violent de façon flagrante les droits élémentaires de l’homme en se souvenant que la voix des femmes s’entend dans toutes les religions mais qu’elles furent souvent absentes de l’évolution définissant ce qu’est une religion et ce qu’elle exige.

La femme, sa famille et sa communauté sont en fin de compte sous la protection de l’état. C’est à ce niveau que des dirigeants responsables et éclairés sont vraiment nécessaires. Néanmoins la plupart des gouvernements continuent à renoncer, souvent par manque de volonté politique, à leurs obligations internationales de punir et d’empêcher la violence contre les femmes et les filles et leur exploitation. D’autres ne fournissent pas les moyens nécessaires pour faire appliquer la loi. Dans beaucoup de pays, on ne trouve pas de services spécialisés dans la gestion de la violence contre les femmes et les filles et la prévention est presque toujours limitée à des mesures à court terme.2 En fait, très peu d’états se flattent de la moindre réduction de sa prévalence globale.3 Nombres d’états continuent à se cacher derrière des traditions culturelles ou religieuses pour s’opposer aux traités internationaux condamnant cette violence, perpétuant ainsi un climat d’impunité morale et légale qui rend la violence et ses victimes en grande partie invisibles.

La période de l’élaboration de cadres légaux doit maintenant être suivie par une accélération de leur mise en pratique et de la prévention. Ces mesures seront fondées sur une stratégie basée sur l’éducation et la formation des enfants de telle sorte qu’ils deviennent capables de croître tant sur le plan intellectuel que sur le plan moral, en cultivant tant leur sens de la dignité que leur sens des responsabilités vis à vis du bien-être de leur famille, de leur communauté et du monde. D’un point de vue budgétaire, la prévention implique d’adopter sans hésitation des mesures orientées spécifiquement vers les femmes afin de s’assurer qu’une quantité suffisante de ressources soit allouée à des services sociaux accessibles et à l’application de la loi. Ces efforts doivent être renforcés par une définition claire de la violence ainsi que par des méthodes de collectes de données globales qui permettent d’évaluer les efforts nationaux dans ce domaine et à sensibiliser les hommes et les femmes sur la gravité et la prévalence de la violence établies dans leur communauté.

La communauté internationale, malgré l’avance importante qu’elle a prise sur cette question par sa déclaration de 1993, sa reconnaissance de la violence contre les femmes et les filles en tant « qu’obstacle à l’égalité au développement et à la paix » ainsi que le travail du rapporteur spécial, s’est divisée et s’est montrée léthargique quand il s’est agit de transformer les paroles en actes. En 2003, cette défaillance s’est illustrée à la réunion de la 47ème session de la Commission des Nations Unies sur le statut de la femme lorsque pour la première fois dans l’histoire cette commission fut incapable de parvenir à un ensemble de conclusions concernant la violence contre les femmes. Des arguments basés sur la culture et la religion furent utilisés dans le but de circonvenir aux obligations des pays telles que définies dans la déclaration de 1993. En conséquence, il est donc impératif que lors de ses futures réunions la commission adopte un langage très ferme concernant l’élimination de la violence contre les femmes et les filles, lui permettant d’établir un ensemble de conclusions qui officialisent ainsi le ton légal mais aussi moral qui convient pour lutter contre cette épidémie mondiale.

Afin de concrétiser ses nombreux engagements, la communauté internationale a besoin d’accroître radicalement les pouvoirs, l’autorité et les ressources consacrées aux droits des femmes, à l’égalité des genres et à la responsabilisation des femmes. La Communauté internationale bahá’íe participe aux discussions qui proposent de créer une agence autonome des Nations Unies qui bénéficierait d’un large mandat consacré à tous les domaines concernant les droits des femmes et leurs problèmes. Faisant suite à la Plate-forme pour l’action de Pékin, au Programme de travail du Caire et à la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes, cette proposition permettrait aux droits de l’homme d’être pleinement intégrés dans tous les aspects du travail de l’ONU. Pour que la voix des femmes soit entendue aux plus hauts niveaux de prise de décision des Nations Unies, cette agence devrait être dirigée par un directeur ayant le statut de Secrétaire général adjoint et pour mettre effectivement en pratique son mandat, une présence nationale suffisante, tout autant que des experts indépendants des droits des femmes feront nécessairement partie de son bureau.

C’est à tous les niveaux de la société, depuis l’individu jusqu’à la communauté internationale, que les efforts doivent être faits pour éradiquer l’épidémie de la violence contre les femmes et les filles. Mais ces efforts ne doivent pas se limiter à des réformes légales ou institutionnelles qui ne font que traiter les crimes évidents et sont incapables de créer les profonds changements nécessaires pour créer une culture où la justice et l’égalité l’emporteront sur le pouvoir autoritaire et la force physique. Les dimensions spirituelles et physiques de la vie humaine sont appariées, l’une ne peut être réformée sans l’autre. Ce sont ces dimensions spirituelle, éthique et morale qui ont maintenant besoin de transformation et qui, au final, assureront la fondation des valeurs et du comportement qui élèveront les femmes et les filles qui, à leur tour, seront les promotrices du progrès de toute l’humanité.

___________

1 Assemblée générale des Nations Unies, résolution 48/104 du 20 décembre 1993. Déclaration sur l’élimination des violences à l’égard des femmes, Article 2. UN Document A/RES/48/104

2 Division des Nations Unies pour l’avancement des femmes (2005). Rapport de la réunion du groupe spécialisé : Bonnes pratiques dans la lutte pour l’élimination des violences à l’égard des femmes.17-20 mai 2005, Vienne Autriche.

[http://www.un.org/womanwatch/daw/egm/vaw-gp-2005/docs/FINALREPORT.goodpractices.pdf]

3 Ibid

Pour informations complémentaires sur le travail du bureau d’avancement des femmes de la

Communauté Internationale Bahá’íe :

http://www.bahai.org/, cliquer sur Social action, puis sur Advancement of women (le site est en anglais).

Mel :oaw-nyc@bic.org

Pour obtenir des informations sur le travail des Nations Unies dans la lutte pour l’élimination des violences à l’égard des femmes : http://www.un.org, cliquer sur Bienvenue, puis sur Index, descendre sur Femmes, puis cliquer sur Portail de femmes.

Nous remercions toutes les personnes qui ont travaillé à cette traduction (traduction de courtoisie)

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