L'EXPÉRIENCE AFRICAINE OU LE PAYS DE L'HOMME QUI MARCHE.

 

 Sahel, sable, soif, Sahel, mamelons de sable à l'infini.

Mes pieds s'enfoncent dans le moelleux du sable

Mes pieds chaussés peinent à se soulever

Mes pieds nus marchent vite et font corps avec le sable.

Petit matin fraîcheur

Sable frais, qu'il est doux le sable du Sahel

Brise vent où tourmente tout vole ou s'envole

Bleu, le ciel tous les matins

SAUF les matins de vent sableux

où, enveloppée dans un brouillard de sable, je marche.

Yeux piquetés, irrités, fermés

la tête couverte d’un foulard, les oreilles couvertes d'un foulard

même parfois main ou foulard devant la bouche

CAR JE SUIS LA- BAS

ICI

Pour venir jusqu'ici, j' ai marché sur l’asphalte pétrole des villes

j'ai roulé sur l’asphalte pétrole des rubans merveilleux, sans bosses, sans creux, sans cahots ........lisse le ruban bleu des villes ;

le ruban-lien qui nous relie, de loin en loin aux visages, aux cœurs aimés de loin en loin

de temps comptés

d’horaires fixes

de voitures neuves

de routes propres de villes nettoyées, lavées, bichonnées.

LA-BAS 

 Journée continue de l’aube au crépuscule

Hommes qui marchent rapidement

Femmes aux pas chaloupés

Enfants sautillants et courants

Tous, emplissent les voies de sable

Tous, marchent vite et ne parlent pas

Il fait frais

Il fait bon

La fraîcheur matinale se noie dans les décolletés des femmes

Il fait bon

Les robes ....oh oui les robes, longues, à pans, à traînes, festonnées, gansées, colorées, cintrées,

les robes inventives, personnelles

Tout, pour mettre en valeur le corps

Leur corps .... délié, souple, majestueux,

leurs corps d’ébène ou d’acajou

leurs coiffures, au petit matin, ouvragées, tressées, dessinées

leurs visages aux yeux ourlés, aux lèvres-fruits dessinées.

leur peau d’ébène, d'ambre ou de cannelle

Toutes les nuances du raffinement au petit matin

Avec cela, juchées sur des aiguilles qui s'enfoncent dans le sable frais du matin.

Les seaux cabas assortis à la couleur de la robe

Harmonie des couleurs

SEULE RICHESSE DES FEMMES.

ICI

Portières de voitures qui claquent

klaxons, bruits de moteurs

glissières des portes du métro

galopades dans l’escalier

respiration grinçante des ascenseurs

passages piétonniers

bandes jaunes

bandes blanches

feux rouges

clignotants

STOP

ciel gris

soleil voilé

froid des petits matins

bonnets, gants, écharpes,

L'HIVER

quelquefois, quand même des yeux maquillés ou fatigués qui regardent.

Marche hâtive, tête baissée.

des couleurs sombres qui déambulent dans le givre des petits matins froids

avec, parfois, une touche de gaîté de fantaisie, qui attire l’œil et fait malice aux yeux des passants.

Gris est le ciel

Grises sont les mines

Tristes sont les mines, affairées pour arriver à l'heure

l’horloge

omniprésente en pendentif ou montre,

respirations dictées par l’heure

portes qui claquent sur les bureaux, les magasins

Portes qui se referment sur les appartements

Vie privée

Confort, canapés, micro-ondes, télévision, chaîne hifi et j' en passe ... CONFORT

LA-BAS

La portière de bois tressé de la case-repos traîne et  s'enfonce dans le sable

Le rideau, qui préserve l'intérieur de la poussière de sable, laisse passer les corps dans un froissement d’étoffes

Rires des enfants

Appels des femmes

Cliquetis des seaux d’eau, écuelles, calebasses

Eau froide

Mais tiède de la chaleur de la terre

Petit matin, ablutions, murmure de l’eau qui coule sur les pieds

Brume de chaleur

soleil blanc

sable blanc

sable frais

Échoppes le long du grand ruban bleu

ruban bleu posé comme un tapis enchanté sur le sable à l’infini

Échoppes de tables bancales, de tabourets bancales

Échoppes aux multiples couleurs :

petits paquets de sel, de riz, d’épices, de poivre, de sucre

confectionnés la veille J' ai pensé , devant la télé .......

Mais non

confectionnés entre femmes

sous l’arbre de la cour......

à l’heure de la sieste

à l’heure où les bêtes, les enfants, les hommes

tous réveillés très tôt

tous dorment

ici où là

sur une natte, contre un mur, contre un sac de ciment

sur une chaise

pendant que les doigts des femmes

sous l’arbre acacia ou fromager

pendant que les doigts des femmes emplissent les petits sachets de leur bénéfice quotidien

crissement du plastique

chuchotis et rires étouffés.

Parfois l'une s’endormira, sur un lit de lattes brutes

des perles de chaleur luiront sur son visage d'ébène et viendront rire entre ses seins.

Petit brûlot, théière cabossée

thé coutume

thé échange

thé repos

le premier pour la force

le second pour le plaisir de l’amour

et le troisième pour conjurer la mort

Ensuite tout se réveille, tout et tous sortent de la torpeur moite des heures chaudes, des heures assoupies, comme oubliées.

Les bruits sourds, sans échos, s'évanouissent sur le sable

comme si le sable s’était fait plus lourd et s'enfonçait en lui -même

Les corps longent les murs lentement

je me traîne le long des murs

surtout, ne pas aller au soleil......

le sable est bouillant

les troupeaux hébétés, figés, immobiles

sous les arbres

le long des barrières de branches

le long des buissons

tout : hommes et bêtes rentrent dans le sable

Même l’homme qui marche au loin

avec son ombre en dessous de lui

Petit point dans l'immensité du sable du Sahel

ICI

C' est la pleine activité

les villes s' emplissent de bruits multicolores

des terrasses couvertes l’on entend des cliquetis de tasses " eh garçon un p'tit noir s'il vous plaît !!!!! "

Des salons de thé, petits fours, femmes bijoutées il sort comme un parfum poudré mêlé aux senteurs acidulées des derniers thés en vogue.

Les enfants, cartables sur le dos

jaillissent en grappes des écoles où les trottoirs deviennent trop étroits pour contenir leur jeune énergie

rappel à l’ordre, cris des mères

galopades sur les trottoirs

feux rouges

jambes maternelles qui courent après, qui courent avec.

Carillons des boulangeries, comme un dimanche de Pâques !!!!!

Petits pains au chocolat, viennoiserie

trop de choix, trop de chance,

bouderies et colères parfois.

LA-BAS

les animatrices des maternelles ont, vers 11 heures coupé des morceaux de pain tartinés de tomates et de piment, les enfants qui n'avaient pas déjeuné ont dévoré leur premier repas de la journée.

Vers 15 heures, le repas familial assis par terre autour du grand plat sera invariablement de riz concassé, huile de palme, oignons, peu de viande, peu de poisson ..... seulement les jours de fête.

Le repas

tout se tait

tous se taisent

les mains forment des petites boulettes de riz

et d' un geste rapide les mettent en bouche

les doigts effilés des femmes, équitablement, mettent devant chacun, les petits morceaux de poisson et les quelques légumes.

ON NE PARLE PAS

L'ON MANGE

ON NE BOIT PAS

L'ON MANGE

exercice sérieux, exercice précieux, exercice sacré, l’on mange

 ensuite l'eau circule et se passe de main en main dans une écuelle

eau goûteuse d’argile

eau douce des terres profondes des puits

eau du ciel, eau si précieuse

 l'on boit religieusement

LONGTEMPS OH SI LONGTEMPS !!!!

Je pourrai continuer les différences

je pourrai continuer....continuer ...mais

malgré toutes ces diversités, comment ne pas voir les similitudes .

ICI ET LA-BAS

Femmes porteuses d’enfants, porteuses de vie et d'espérance.

Cœur de femmes, battant pour les mêmes besoins :

Besoin d'amour, parfum des femmes

Besoin de nourriture, odeurs maternelles

Besoin de soins, gestes tendres, mains caressantes, apaisantes

Besoin de beauté, de vie, d'échange et de partage.

Besoin d'humanité, de respect, d’égalité et encore d'amour.

PLANÈTE TERRE , RICHE DE SES DIFFÉRENCES.

PAS DE FEMMES QUI MARCHENT

FEMMES D'ICI, D'AILLEURS OU D'AUTRE PART

PAS DE FEMMES QUI MARCHENT

ACCOMPLISSANT LEUR DESTIN.

 

 

Monique Mallet

Retour